Un certain mystère plane autour de toi, autour du personnage de Katerine... Est-ce par volonté de te protéger ou par simple timidité ?
Je crois qu'il y a un peu des deux. Je n'aime pas trop donner d'indications, de recettes toutes faites... En tous cas, maintenant, des mystères, il n'en est plus question. Faire une séance photo, donner une interview, c'est plus que se dévoiler, c'est se mettre complètement à nu. Après tout ca, je me sens vraiment pitoyable, triste. Cette interview, c'est la premiere, c'est pour moi une nouvelle experience. Il fallait que je vois ce que c'était, jusqu'ou je pouvais aller... Mais je ne suis pas sur d'etre capable d'en faire une autre par la suite (sourire)...
Tout semble concourir au mystere : l'absence de photos, de concerts, d'interviews, une biographie lapidaire...
(Silence)... Il y a un peu de lacheté derriere tout ca. Se dissimuler comme ca, ce n'est pas quelque chose qui m'est naturel, c'est une attitude plutot sournoise, perverse... Mais d'un autre coté, ce mystere dont j'ai été plus ou moins inconsciemment le jouet, je l'assume totalement. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose d'effacer d'un mot tous les mysteres. Les chansons devraient pouvoir exister par elles-memes. Parler en leur nom, c'est vraiment difficile, et en un sens inutile.
Ta musique peut-etre qualifiée de minimaliste...
C'est peut-etre parce que j'enregistre chez moi, dans un univers clos. Quand j'écris ou quand j'enregistre, c'est toujours dans la meme piece, aupres d'une grande garde-robe, entouré de vetements de toutes sortes. Et puis, je suis souvent en peignoir, c'est surement cela qui donne ce coté intimiste, renfermé sur soi (sourire)... Plus que le résultat d'une volonté précise, ce sont les circonstances qui donnent cette couleur à mes chansons, le lieu qui les a inspirées. Chaque fois que j'ai essayé d'enregistrer en studio, cela a été un véritable désastre. Je me suis laissé completement avoir. Je ne supporte pas l'idée qu'il y ait quelqu'un derriere une vitre, quelqu'un que je ne connais pas, qui touche à des boutons pendant que je chante, qui imprime sa vision des choses sur mes compositions. Et puis, quand tu entres en studio, tu dois suivre certaines regles. Il y a des choses à faire et d'autres à ne pas faire. Et suivre des regles, ca ne m'interesse pas.
Tes morceaux sont tres courts et semblent etre faits avec des bouts de ficelle, un peu à la maniere des Pastels...
C'est vrai que d'un coté, c'est du bricolage. Mais je ne crois pas faire partie d'une quelconque famille. Si toi, tu trouves qu'il existe des correspondances, ce n'est qu'une coincidence. Je ne me vois pas du tout comme l'héritier d'un groupe ou d'un son en particulier. Ce que je fais nait par hasard, avec le minimum de réflexion afin de laisser le plus de place possible à la spontanéité, sans fixer de regles préalables, un peu comme une sorte d'écriture automatique. Et plus simplement, si le son de mes chansons t'apparait si minimaliste, c'est que je ne suis pas un grand musicien. Je prends des bouts par-ci par-là, je cherche à utiliser les instruments d'une facon nouvelle, à les mettre dans un contexte dont on n'a pas l'habitude. Ce n'est pas vraiment la technique qui compte mais l'audace, l'exigence, le désir d'expérimentation. La spontanéité dont je parlais tout-à-l'heure n'est en fait qu'à la naissance des morceaux. Par la suite, il faut les travailler et les retravailler, et là ce n'est pas une question d'etre bon musicien ou non, mais de pouvoir trouver le traitement qui fera que cette chanson ne sera pas une chanson comme les autres. Pour moi, écrire une chanson, c'est chercher à créer des contradictions, utiliser les sons comme des atomes pour les combiner de toutes les facons possibles. Seul ce travail sur la matiere m'intéresse et justifie à mes yeux le temps passé à composer.
Au fond, pour toi, écrire de la musique, ce n'est rien d'autre qu'un jeu...
Oui, en un sens c'est vrai. Je le prends tout à fait comme un jeu. Certains jouent aux poupées, moi je fais de la musique. C'est pareil... A la limite, je ne ressens meme pas le besoin de sortir des disques. Ca n'a jamais été quelque chose de nécessaire ou de désiré. C'est meme une trahison. Je l'ai fait parce qu'on m'y a poussé, mais je n'apprécie pas trop de montrer ces chansons à tout le monde, de les rendre publiques. D'autant plus que, si elles sont certes le résultat d'un processus ludique, elles n'en sont pas moins tres importantes à mes yeux, nécessaires à mon rythme de vie. Meme si certaines de mes chansons paraissent etre des blagues en surface, ce n'est qu'un masque; elles sont en fait le fruit d'une recherche, d'une réflexion qui, elle, est au fond tres sérieuse, et j'ai du mal à supporter l'idée que les gens ne gardent en fin de compte en mémoire que la partie immergée de l'iceberg, la blague... D'un autre coté, je comprends bien qu'il est ridicule d'essayer d'expliquer tout ca, qu'il vaudrait mieux se taire et laisser les autres réagir à leur guise, mais il m'est difficile d'accepter que d'un coup ces chansons ne m'appartiennent plus et puissent etre modifiées, triturées, dénaturées à volonté parce que chacun les écoute à sa maniere.
D'ou te vient cette attirance pour les textes plutot bizarres, surréalistes incongrus ?
C'est difficile à dire... Chaque mot a son importance, les uns à coté des autres. Ce n'est jamais du hasard, meme si parfois je suis trahi par la direction que prennent certaines de ces combinaisons. Chaque mot est tres important. Aucun ne doit etre négligé. Souvent, un seul mot mal placé suffit à gacher tout un texte, ou au contraire à l'éclairer. Il faut rester tres vigilant (sourire)...
Ta biographie indique à l'année 1981 "Virtuose incomparable", et en 1985 "Shakespeare"... As-tu eu ta période musique classique et théatre?
Non, pas du tout (sourire)... Ce sont juste des mots qui évoquent des moments ou j'ai tenté de me lancer dans certaines formes créatives dans lesquelles j'ai completement échoué. De toute facon, dans cette bio, chaque année est marquée par une allusion à un échec.
Ta vie ne serait donc qu'une longue suite d'échecs...
Oui, tout à fait. Vingt-trois ans d'échecs...
Tu sembles piocher tes influences un peu partout: musique, télé, cinéma, littérature...
Avec le recul, je crois que, plus que la musique et la littérature, c'est le cinéma qui m'a essentiellement marqué, et meme un film en particulier: "La maman et la putain" de Jean Eustache. J'ai l'impression que tout tourne autour de ca. Je lai vu six ou sept fois, et il évoque à lui seul tout un lot de souvenirs, d'images, de mots, d'instants, de silences... Aujourd'hui encore, il fait partie de ma vie quotidienne, il y est meme au coeur. (Il me confie en aparté) Enfin, tu n'es pas obligé de publier cela. C'est meme un peu délicat en fait (sourire) ...
L'univers enfantin est tres présent dans tes compositions...
Chacune de mes chansons est en fait construite autour de souvenirs, d'impressions éprouvées il y a longtemps, qui ressortent maintenant. Plus j'avance, plus les chansons deviennent adultes. Mes premieres compositions s'attachaient à mes premiers souvenirs d'enfant et depuis, au fil des années, je refais dans mes chansons le chemin qui m'a mené à aujourd'hui. Plus je grandis, plus les themes qui m'inspirent deviennent proches et s'éloignent de l'enfance. Enfin, c'est l'impression que j'en ai (sourire)...
Pourquoi t'efforces-tu dans tes chansons de prendre la voix la plus enfantine possible?
Ce n'est pas quelque chose de voulu, en fait. Dans l'ensemble, mon interprétation sur ce disque est à nouveau un échec. Il m'est au fond tres difficile de chanter mes propres chansons. Si c'est le coté enfantin qui transparait, c'est que j'ai échoué. Ce qui m'a fait le plus mal, c'est de recevoir par courrier des carambars, des bonbons ou des ballons gonflables. Si les gens le prennent ainsi, c'est que j'ai tout raté: l'interprétation, les arrangements, l'enregistrement... Ca me décoit sincerement, mais c'est entierement de ma faute, je ne m'attendais pas du tout à de telles réactions. Ca m'échappe totalement.
Tes morceaux sont partagés entre sagesse, calme ("Le silence de l'apres-midi") et futilité, exhubérance ("Comme Jeannie Longo", "La danse des pommes")...
En fait, plus le morceau est exhubérant, plus il se rapporte à quelque chose de mélancolique, de lourd à porter, des émotions tres personnelles. Alors que les titres qui te semblent à toi les plus réfléchis, les plus calmes font souvent référence à des événements ou à des idées beaucoup plus joyeux et légers. C'est une constante partie de cache-cache. Enfin, je crois...
Est-ce qu'écrire des chansons apporte une certaine sérénité à ta vie personnelle?
Non, au contraire, ça me ronge de partout (sourire)... C'est peut-etre un peu idiot mais au début, je pensais que ça allait m'apporter un peu de joie, me permettre de rencontrer des gens, m'ouvrir sur le monde extérieur. Et c'est exactement le contraire qui s'est passé, ça a completement atrophié mes relations avec les autres. Je suis loin de vivre la vie dont je révais.
Par Laurent Janin