Avec son faux air de jeune PPDA et ses mélodies easy-listening, on lui donnerais le bon Dieu sans confession. Philippe Katerine, ex-prof de gym originaire de Chantonnay, en Vendée, s'est soudain révélé dans ses deux nouveaux albums ("Les créatures" et "L'homme à trois mains", Rosebud/Barclay) d'un humour grinçant et d'une dévastatrice sincérité. Il prépare des chansons pour Anna Karina : Une sorte de Houellebecq pop est née.

On a l'impression d'un changement assez radical chez vous...

Il y a eu une fracture dans ma vie : J'avais une maison, je vivais avec ma copine et ma fille, Edie, 6 ans, et puis tout à coup, on s'est quittés, je me suis retrouvé dans des chambres d'hôtels. Je suis devenu nomade, j'ai une existence chaotique. Du coup, moi qui faisais une musique sédentaire, confortable, apéritive, je suis passé à des chansons plus digestives, avec ce que ça comporte comme tracas et digestions difficiles.

Ca vous plait les chambres d'hôtel ?

Ca me plait drôlement de changer, mais je parle de chaos et de déséquilibre car ça ne corresponds pas vraiment à ma nature. Enfin, j'étais dans cette situation quand j'ai écrit ces morceaux. Aujourd'hui, je n'ai toujours pas d'appart mais j'ai trouvé un terrain sentimentale qui me comble. Je sais, c'est affreux, cette expression.

D'ou vient le côté "à nu" de vos chansons ?

Je voulais tenir un journal intime sans trop de sentiments, en donnant des dates, des heures, des prix, des noms de rues, que ça soit un peu clinique. L'idée était de quadriller mon territoire car je n'en avais plus vraiment. Mon seul foyer, c'était moi même.

Et le goût pour les énumérations ?

Depuis l'enfance, je classe, je fais des listes : les goûts, les couleurs, les amis préférés puis déchus. J'essaie de mettre à plat mes sentiments, pour ne pas me laisser déborder. A un moment, je faisais aussi des classement sportifs, avec des équipes imaginaires. Ou j'inventais des pays, avec le noms de leurs présidents, les guerres éventuelles, les candidats au putsch. Ca me prenait des journées, parfaitement cafardeuses. Aujourd'hui, je continue àn le faire en chansons, à agencer le monde, à me rapprocher de Dieu.

Etes-vous un garçon heureux ?

Pas particulièrement, mais j'ai quelquefois de grands moments de joie. En fait, je suis souvent un peu las. Dans la rue, je marche voûté. Cette lourdeur, j'essaye de l'alléger en écrivant. Mais je ne suis pas triste du tout ; j'aime bien quand la vie est douce, lisse, je crie une fois par an. Avec ma fille, je suis un père facétieux : je mange les yaourts avec les mains.

Et avec les femmes ?

Timide et très impressionné. Quand je suis amoureux, ça tourne à l'obsession, je suis incapable de me contrôler. J'ai besoin de me sentir entouré d'une personne, d'un giron. Rapport à la mère sans doute. C'est une femme superbe.

Vous aimez qu'on vous domine ?

Je suis sûrement plus maso que sado. Martyr, en tout cas, avec délectation.

C'est votre côté chrétien ?

Absolument. De 8 à 14 ans, j'ai voulu devenir prêtre. Bientôt, moi qui suis fan de Truffaut et de Bresson, j'aimerais réaliser un filme. Je tiendrais le premier rôle : celui d'un curé dans une paroisse vendéenne. Je serais un curé bandits : comme cette confrérie de moines allemands au XVI° siècle qui prônaient le boire et le manger plus que de raison et une sexualité assumée dans ses pires travers (inceste, etc.). C'est une façon de vivre sa foi en bandit et en révolutionnaire qui m'intéresse. Apres tout, même si on nous montre aujourd'hui des films pornos et des fellations à la chaîne, on n'a jamais fait plus érotique que le Christ nu sur sa croix, avec toutes ces femmes agenouillées à ses pieds.

Propos recueillis par Florence Trédez