Un succès inattendu au Japon, une collaboration avec une petite qui promet, quoiqu'on en dise, l'année 95 aura été pour Katerine bien remplie et décisive. Assez du moins pour remplir les quatre maxis qui formeront son troisième album. Sincère et atypique, joueur et drôle, le Vendéen nous détaille, par le menu et loin de Paris, ses mauvaises fréquentations. Pêle-mêle, Jacques Demy, The Littles rabbits, Mercedes Audras, Neil Young et Kahimi Karie.

As-tu ressenti une quelconque pression pour enregistrer ce nouvel album ?

Non, aucune. Je sais qu'il y a un peu plus d'argent sur ce disque. Je le sens parce que je rencontre beaucoup de gens différents, je vais plus souvent à Paris, mais une fois à Nantes, dans un autre contexte, je ne ressens aucune tension. De toute façon, les chansons me sont venues assez naturellement, il y a six ou sept mois. Le déclic ? C'est ce morceau : " Le jardin botanique ". Ensuite, sans m'en rendre compte, le reste a suivi, un peu à la manière d'une pelote qu'on déroule ? C'est très agréable de ne pas avoir à se forcer. Si je m'étais mis au travail avant de composer ces morceaux, j'aurais sûrement écrit des titres assez proches de ceux de " L'éducation Anglaise ". Avec lui, j'ai réellement compris que je pouvais faire autre chose. Il y a quelques mois encore, je ne supportais pas la notion de chanson à sujet. Aujourd'hui, j'en ai vraiment envie. Je veux m'éloigner du côté simplement narratif. Je veux être plus précis.

As-tu changé ta méthode de travail pour cela ?

Non, les chansons me viennent comme cela, dans la rue, dans un jardin, en me promenant. Ilm est très important d'avoir toujours à l'esprit que l'on écrit pas un disque parce qu'il le faut mais parce qu'on en a un réel besoin. Plus les chansons sortent, plus j'éprouve ce besoin d'aérer mon esprit. Il s'est encombré ces derniers mois de.non-écriture. (sourire). Ecrire, c'est un travail de lavement. Je suis toujours ressorti d'un enregistrement complètement vidé. Et c'est de plus en plus le cas. Physiquement et moralement. En fait, c'est une sensation plutôt agréable.

Lorsque tu travailles, tu te réfères toujours à un drôle de petit carnet.

Avant de commencer un album, je m'achète un carnet. J'y note mes idées et mes textes. Les gens seraient surpris de n'y trouver aucune rature mais c'est toujours cette idée de premier jet. D'ailleurs au final, il n'y a peut-être qu'une trentaine de pages utilisée. Pour seize chansons. Lorsque l'album est fini, je corrige les fautes d'orthographes, j'envoie les textes à la Sacem, je referme le carnet et je le range. Et ce qui n'a pas été utilisé est irrémédiablement abandonné.

Un petit orchestre

Pourquoi avoir congédié Anne et Bruno, qui te prêtaient leurs voix sur " L'éducation anglaise " ?

Dans mon esprit, cette formue ne pouvait être que ponctuelle. Avec le " Jardin botanique ", je me suis aperçu qu'il était nécessaire que je chante. Cela me paraissait naturel, comme une évidence. Il fallait qu'un jour ou l'autre je devienne adulte, que je ne joue plus à cache-cache, que je m'assume un peu plus. Tu vois, en devenant père de famille, j'ai enfin pris le sens de mes responsabilités. (sourire)

Considères-tu les textes de ce troisième album comme étant plus personnels ?

C'est sûr. En accumulant les concerts dans les derniers mois, je me suis aperçu que je prenais beaucoup plus de plaisir à chanter des choses qui me touchent. Devant un auditoire, le côté premier degrés, très frivole, me touche moins. Pour moi, c'est une question de valeur. Je me sens plus respectueux aujourd'hui vis à vis du public en m'investissant d'avantage. Le côté dilettante de Katerine n'a pas disparu du jour au lendemain mais il est moins perceptible. Ceci dit, j'ai noté un revirement dans mes goûts personnels. Aujourd'hui, Aznavour ou Brel ne sont peut-être pas si éloignés de mon répertoire. Il y a deux ans, je m'interdisais de penser de telles choses !

C'est la raison pour laquelle tu te contentes uniquement de chanter sur " Les mauvaises fréquentations " ?

Oui, ne jouer d'aucun instrument sur cet album est un disposition tout à fait volontaire. J'ai constitué un petit orchestre qui me porte et qui porte les chansons. Je m'imagine très bien sur scène, façon music-hall, faisant de grands gestes. (sourire.)

Le fait de chanter n'entraîne-t-il pas une forme d'auto-cendure, principalement par pudeur ?

Non, non, au contraire. Il y a dans ce nouvel état de fait une volonté avouée de me séparer de cette éducation catholique vendéenne, très moralisatrice. En chantant, je veux m'affranchir totalement de la censure. Chanter, pour moi, c'est perdre cette pudeur adolescente présente sur mes deux premiers albums. Souvent, lorsque j'écris un texte, ma première pensée est pour mes parents dont je guettes les réactions. Je les imagine me prenant pour un monstre, pervers ou homo. (sourire) " Les mauvaise fréquentations, c'est vraiment l'envie, le besoin d'échapper à ce joug terrible de l'éducation.

Tu as gardé un groupe, en studio et sur scène, autour de toi...

Oui, même si dans mon esprit, ce n'est également qu'une solution provisoire. Je ne pourrais tout de même pas faire table rase d'un coup d'un seul. Si tu réfléchis bien, l'orchestre qui m'entoure, c'est un moyen de déplacer la pudeur, c'est une appréhension particulière de la musique : jouer avec un groupe, c'est une manière de nier des défauts personnels et un moyen d'éviter de retomber toujours dans les mêmes travers, les mêmes tics. Les gens qui m'accompagnent aujourd'hui sont plus chevronné que moi et me servent à ouvrir des portes, ils peuvent m'apporter des solution auxquelles je n'aurais pas pensé.

Es-tu quelqu'un avec qui il est difficile de travailler ?

Hum.En fait, le problème est simple : lorsqu'une chanson me vient, elle est déjà très proche du résultat final. C'est un tout que ne m'autorise pas moi-même à bouleverser. Alors les autres. Moi côté dilettante joue énormément au moment de la composition. Même si je sens que c'est un peu bancal ou certainement perfectible, je garde toujours le premier jet. En retournant une chanson, j'ai l'impression de toucher à ma propre personnalité. Par contre, les arrangements et la mise en forme, c'est autre chose. C'est là qu'intervient mon côté ludique. Mais je n'arrive jamais a retranscrire parfaitement ce qui a germé dans mon esprit. L'exercice, c'est donc celui ci : approcher au plus près l'idée originelle de chaque chanson. Je ne suis pas encore parvenu à mes fins mais j'y crois toujours.

Et si tu y arrives ?

J'arrête. Tout simplement. C'est évident.

Pourquoi as-tu décidé de travailler une nouvelle fois sans producteur ?

Je me sens l'âme d'un producteur. C'est ma partie préférée du travail. Je serai très frustré de ne plus faire les arrangements, de ne plus inventer des petites feintes.(sourire) J'ai le droit de m'amuser non ?

N'as-tu pourtant pas le sentiment de tourner un peu en rond ?

Non, car au contact de nouveaux musiciens, j'ai le sentiment d'avoir déjà progressé. En tant que musicien, je suis un autodidacte complet. Progresser, c'est plus une affaire de technique que d'idée. J'ai toujours pensé et cru que la technique permettait la fantaisie. Regarde, Jacques Demy a choisi Rochefort est ses rues perpendiculaires pour tourner une comédie très fantaisiste. J'aime vraiment cette idée.

Autant en studio l'on te sent tendu, autant sur scène tu parais de plus en plus décontracté.

Chanter des textes de plus en plus personnels devant un auditoire est devenu une situation habituelle, presque normale. Je n'ai plus le trac avant de monter sur scène. C'est une situation formidable pour un artiste. Mon seul problème, c'est d'éviter que, par faute de concentration, mon esprit se disperse ? Ne pas avoir le trac, c'est être à l'aise techniquement avec son corps, c'est mieux chanter, mieux jouer. J'ai l'impression que les émotions me parviennent plus vite et plus brutes. Sans filtre. Lors du dernier concert avec Gaëtan des Little Rabbits, qui a tenu la basse pour quelques concerts, à la fin du concert de Mulhouse, je me suis mis à pleurer comme un enfant. C'est la première fois que cela m'arrive. Je ne sais pas si c'est bien ou mal. Si je m'étais contenu, j'aurais triché. Je n'avais pas honte, mais je ne voulais pas installer ce malaise avec le public.

Rio de Janeiro

Comment expliques-tu le décalage entre le Katerine de la scène et le Katerine du studio ?

Ce que je me reproche en studio, c'est de vouloir faire joli. C'est idiot mais c'est plus fort que moi. J'aime rajouter des petites bêtises qui m'accrochent, qui accrochent l'auditeur et que l'on trouvent finaudes sur le moment. Je sais que c'est un défaut, mais je n'aimerais pas m'entendre de façon trop brute sur disque. Sur scène, cela ne me dérange pas mais en studio, c'est terrible. Je ne réécoute jamais d'enregistrement live, j'ai trop l'impression de m'être livré. Les joliesses ne sont plus là d'un coup, je suis tout nu.

Après deux essais en anglais, n'as-tu jamais été tenté par le désir de chanter dans une langue latine ?

On a déjà trop insisté dur le côté bossa nova de mes chansons ! Je suis vendéen, j'ai envie que me chansons sonnent vendéennes, pas américo-latines ! (Rires.) Je veux que l'on sente que suis de Chantonnay, que j'habite à Nantes et que je n'ai jamais vu Rio de Janeiro.(sourire). Je n'ai aucune fascination pour la musique latine. Mais, enfant et adolescent, j'ai mes premiers " cours " de guitare avec une personne qui jouait beaucoup de musique latine. Elle m'a dit de placer mes doigts comme cela, de faire ces accords et voilà. C'était un enseignement assez typique (sourire). Ce jeu de guitare, c'est mon parcours, ma biographie. Si je m'en éloigne, je ne suis plus Philippe Katerine. A Valenciennes, ou je ne sais où, j'aurais appris la guitare Folk et je jouerais comme. Sylvain Vanot. (sourire) Non, Neil Young.Oui, plutôt Neil Young. (Rires.)

Ton disque va d'abord sortir en quatre maxis puis en album. " Mes mauvaises fréquentations " ne serait qu'une compilation ?

Exactement. Il me semble que Katerine est mieux adapté au format court. Cette compilation de quatre super-45 tours est une sorte de fantasme. Le 25cm ou le 45 tours sont des formats qui m'ont toujours beaucoup plu, mais nous sommes malheureusement aujourd'hui dans d'autres.sphères. Il faut donc s'adapter et trouver des solutions pou retrouver ces fragmentations. Dans mon esprits, les seize chansons de " Mes mauvaises fréquentation " se regroupent quatre par quatre et ainsi agencées, elles autorisent de nouvelles lectures. Le chiffre 4 est de toute façon le symbole de ce disque. Je regrette l'époque du vinyle. Pas par nostalgie, j'ai horreur de ce mot, mais parce que l'auditeur ne fait plus cette démarche d'aller retourner le disque. Cela va sûrement paraître prétentieux mais avec ces quatre objets, je vous oblige à faire un effort. L'idée de pause, dans le temps et dans l'espace, m'intéresse beaucoup.

Avec mon ami 8

Tu as confié " Mon cour balance " aux mains expertes de Bertrand Burgalat.

Je ne sais pas ce que cela donnera.. On verra bien. Je lui ai demandé de remixer les bandes, histoire d'avoir une autre approche. Soit je continue à travailler avec lui. J'avais le désir de me remettre en question. Quand je mixe mes morceaux, j'ai tendance à compresser les instruments. J'aimerais bien faire autre chose mais je n'ai pas trouver la solution pour libérer les instruments. J'espère que Bertrand saura m'apprendre. Ses productions m'étonnent toujours. Il y a, à la fois, la précision et ce côté libéré . J'espère qu'il saura trouver le truc qui va déclencher quelque chose en moi et me faire évoluer. C'est le troisième disque que je produis et je n'ai pas envie de tourner en rond.

Sans compter celui de Mercedes Audras.

Justement, j'avais envie de découvrir une surface de jeu nouvelle. Certains diront que ce n'est pas si éloigné de ce que je fais mais ça l'étais suffisamment pour que m'y intéresse. Produire quelqu'un d'autre, c'est autant se découvrir sois-même que d'apporter quelque chose à l'autre. Le challenge, c'est une nouvelle fois Demy et ses " Demoiselles de Rochefort " : " Comment avec toutes les contraintes que suppose un tel travail de commande vais-je pouvoir m'amuser ? " Ce défi m'a passionné et pour tout arranger, cela s'est très bien passé avec Mercedes.

Tu recherches ce type de collaboration aujourd'hui ?

Oui, l'idéal, serait que j'alterne un disque de Katerine et une production. Tu vois, puisque je me sens vidé après mes enregistrements personnels et que je ne le remets que très lentement à écrire des chansons, j'aimerais beaucoup me ressourcer dans la peau du producteur.

Parle nous de ta collaboration avec Kahimi Karie.

C'est une jeune chanteuse japonaise qui connais mes disques, et qui apparemment les aime. Elle m'a contacté et m'a demandé de lui composer un morceau pour un single. Passé la surprise, c'est ce que j'ai fait avec " Dis moi quelque chose avant de dormir " et elle est venue enregistrer à Nantes. Tu imagines, nous avons mis en boîte la bande orchestre la veille, sans savoir sur quel ton elle chantait et elle a débarqué ici en provenance du Japon. C'était surréaliste. Je suis allé la chercher à l'aéroport avec mon Ami 8, dans laquelle elle n'a jamais voulu monter, ça commençait bien. Je l'ai emmenée chez moi, je lui ai chanté ma chanson, ça lui a plu et l'après-midi, nous enregistrions. En deux heures, c'était fini. J'ai été traversé de frissons en la voyant chanter. Il s'est réellement passé quelque chose à ce moment là. Je n'e croyais pas mes yeux. J'étais à côté avec mon verre de vin blanc et je me disais que c'étais vraiment un histoire de fou. Elle est repartie, après avoir pris mon auto en photo. Incroyable. Mais le plus drôle, c'est qu'elle a vendu 130 000 exemplaires !

Le travail de commande semble te convenir.

J'adore ça ! Je n'ai aucun problème pour me détacher de mes compositions. Que ce soit moi ou quelqu'un d'autre qui les chante, je leur accorde la même importance. Il n'y a pas de hiérarchie. A chaque fois, malgré les apparences, j'ouvre mon cour. J'aimerais beaucoup être sollicité pour des publicités ou q'une jeune fille me demande de lui écrire des chansons. Les contraintes m'intéressent. Par jeu. Par perversité aussi.

Des chewing-gums

D'après toi, quelle est la frontière entre pop et variété ?

Oh, je n'en sais rien. Pour moi, la question ne se pose pas, j'ai toujours pensé que je faisais de la variété. Ce n'est pas un mot ni une notion qui me pose problème. Je me sens aussi proche de Brian Wilson, es pastels que d'Aznavour ou de. Lio. La variété englobe la pop ? C'est juste un terme plus anodin. Mes chansons sont comme des chewing-gums : c'est amusant ou triste ou mélancolique sur le moment, puis on les jette. En chantant, je n'ai jamais eu l'impression de faire quelque chose d'important, excepté pour moi.

Philippe Katerine se sent-il à sa place aujourd'hui dans la chanson française de 1996 ?

Oui, excepté le fait que le 45 tours n'existe presque plus, je me sens plutôt bien. (sourire). Moi, je ne revendique rien, aucune place. Je vis de ma musique, modestement, mais suffisamment, je voyage, je me lève tard, c'est la situation idéale, non ? Personne ne m'emmerde dans la rue, je n'ai aucune pression, j'ai le Japon pour m'en sortir. (sourire). On m'aurait prédit tout cela à dix-huit ans, je signais sans réfléchir. Je n'ai pas d'ambition dans la chanson, excepté d'en composer une, une seule, qui me ressemble le plus possible.

Propos recueillis par Philippe Jugé.