Résolument échappé de la raison, Katerine revient avec un album possédé et inquiétant, 8ème Ciel. Un paradis artificiel et épineux, où le Vendéen reçoit sur le trône : scato, drôle et sous l’emprise des rêves
Il y a trois ans, tu publiais deux albums qui correspondaient à un virage radical. 8ème Ciel s’inscrit dans la continuité de ces deux disques, as-tu maintenant trouvé ta voie ?
Le véritable déclic s’est produit avec L’Homme à trois mains, l’album que j’ai fait tout seul chez moi, à mon arrivée à Paris. Avec ce disque, j’ai tout à coup eu l’impression d’être intéressé par ce que je faisais, alors qu’auparavant, j’avais le sentiment de pratiquer un hobby. Avant de déteindre sur ma musique, le changement radical s’est produit dans ma vie : j’avais vécu jusqu’ici dans ma province et j’écrivais des chansons de vieux garçon parce que je n’étais pas encore sorti des jupes de ma maman. Je changement a été si brutal que je me suis mis à écrire quasiment sans m’arrêter, alors qu’avant, je n’écrivais que le strict nécessaire pour un album. Aujourd’hui, c’est un flux permanent et je découvre du coup les plaisirs de l’écriture automatique, animale.
Cela consiste en quoi ?
J’ai l’impression d’avoir une approche un peu compulsive de l’écriture de chansons, un peu comme si j’étais un malade, un tueur dans la ville (rires)… L’un des grands changements, en arrivant à Paris, fut de découvrir les plaisirs de la marche, seul dans la foule. J'aime bien cet abandon dans l’irréel. J’avance comme ça, en me coupant du monde, en ayant parfois l’impression d’être une bête. Lorsque j’écris, c’est un peu la même chose : il n’est pas rare que j’en ressorte en sueur, hagard, vidé. En même temps, c’est un état d’extrême jouissance, le seul qui me procure cette plénitude. J4ai toujours eu envie de violence, de sexe, de ce genre de choses dans mes chansons, simplement parce que j’ai envie de ça dans ma vie. J’ai d’ailleurs toujours écris des chansons dans cet esprit, mais avant, j’avais un peu honte, alors je les mettais à la poubelle. Aujourd’hui, je n’ai plus aucune pudeur : je suis capable de tout montrer.
Ta rencontre avec les Recyclers a-t-elle été déterminante ?
Même si l’album qui a servi de charnière est un disque que j’ai fait seul, c’est vrai que beaucoup de choses m’on étées permises grâce aux Recyclers, notamment sur les Créatures. Sur ce disque, j’ai dessiné avec eux les frontières d’un territoire – ce serait prétentieux d’appeler ça un pays, disons plutôt un petit canton – et j’ai l’impression d’être totalement à l’aise dans cet espace. Sur le nouvel album, j’ai appris à l’explorer un peu plus, à y habiter vraiment. Et grâce aux Recyclers, je sais que c’est un endroit appelé à évoluer, voire à être détruit un jour. Avant, je ne transmettais pas grand-chose aux musiciens qui m’accompagnaient, les chansons étaient souvent fermées, sans possibilité de les déranger. Les Recylcers, eux, interviennent en cours d’écriture, ils fournissent des pistes, me donnent des solutions techniques lorsque je suis en rade. Il y a un dialogue permanent sur les chansons, notamment en studio, et comme ce sont des gens qui ont le goût de l’aventure, ils m’entraînent dans des recoins où je n’aurais jamais osé aller
Vers la soul-music par exemple, comme c’est le cas sur quelques titres du nouvel album ?
C’est de la soul à ma façon, n’exagérons rien, je ne me prends pas pour Marvin Gaye ! Je voulais que ce disque ressemble à une espèce de bacchanale, une fête orgiaque avec des moments de douleur, de violence, d’extase, et aussi des moments de séduction, notamment à travers la danse. Je ne suis pas un grand danseur, mais j’adore danser. J’ai même gagné un concours une fois dans une boîte de nuit en Vendée : le prix du meilleur danseur de la piste. Aujourd’hui, je ne danse plus que dans mon salon, mais il fallait que je fasse entrer cette dimension dans ma musique. J’y pensais depuis longtemps, mais j’étais bloqué pour des raisons de compétences techniques. J’ai toujours été un fou de Curtis Mayfield, d’Al Green, et j’ai senti qu’il fallait faire entrer un peu de cette sensualité soul dans ma musique. Mais c’est vrai que j’ai une conception de la danse un peu vieillotte (rires)… La techno, je ne m’y suis jamais aventuré, même si j’écoute les Chemical Brothers ou Aphex Twin. Mais je suis passé à côté de l’ecstasy, je n’ai jamais mis les pieds dans une rave et, pour tout dire, en Vendée, on est plus naturellement amené à empoigner une guitare qu’à s’asseoir derrière un ordinateur. Moi, je n’ai jamais eu de copain DJ, personne pour m’initier. Avec les Recyclers, je ressens parfois cette transe qui s’installe en studio ou sur scène sans qu’on la cherche. Lors de l’enregistrement du nouvel album, il arrivait qu’on quitte terre. On baignait par moment dans une atmosphère narcotique et ça a influencé le disque. Comme pas mal de mes chansons, l’atmosphère passablement enfumée dans laquelle se déroulaient les sessions a rajouté cette dimension un peu irréelle.
Quels genres de rêves inspirent tes chansons ?
Il y a deux types de chansons qui naissent dans mes rêves. Il y a d’abord celle où je me vois en train de chanter. Si je ne connais pas la chanson, alors je me réveille pour la noter et ça fait une chanson de plus. Au jardin métallique ou Mort à la poésie sont des chansons que je me voyais chanter devant des gens. Et puis, il y a les autres : celles qui proviennent de situations que j’ai vécues en rêve, comme Barbecue à l’Elysée.
Tu prends quelles drogues avant de dormir ?
Pas mal de vin rouge, à vrai dire. Je dors énormément, parfois jusqu'à quinze heures par jour, ça aide. Aujourd’hui, mes rêves sont beaucoup plus compliqués, ce qui procure des chansons plus denses. J’ai une vie très chargée dans mon sommeil, il m’arrive de rire comme un singe tout en restant endormi et mes rêves se terminent même parfois par des pollutions nocturnes. A l’époque des Créatures, j’avais une sorte d’obsession pour l’hyperréalité : mes chansons étaient truffées de prix, d’horaires, de noms de rues. J4avais besoin de ce réel très brut pour tendre vers une espèces d’abstraction. Sur le nouvel album, j’ai voulu faire le chemin inverse : partir de situations surréalistes pour revenir vers le réalisme.
As-tu rêvé les deux personnages qui « occupent » ton album : le Général Fifrelin et Boulette ?
J’avais envie d’un court-circuit dans le disque, c’est pourquoi je reçois des invité qui sont des personnages réels issus du fantasme de leur existence : A travers eux, c’est une manières de m’inviter moi-même, d’inviter une part refoulée de mes envies que j’avais besoin de matérialiser de façon un peu brutale. Cette petite fille qui chante « Caresser vos étrons », c’est un rêve que ça puisse exister, non ? Ces deux personnages, j’avais besoin non pas qu’ils sortent de moi, mais qu’ils entrent en moi : j’avais besoin des les avaler, et d’une certaine manières des les chier aussi.
D’où provient cette obsession scato, récurrente sur tes albums ?
De l’enfance sans doute. Je n’ai jamais vraiment quitté le stade anal. Je crois que c’est Raymond Queneau qui disait qu’il ne fallais jamais faire confiance à quelqu’un qui refuse de regarder ce qu’il vient de chier. Je suis assez d’accord. Si j’assume d’écrire des choses pareilles, c’est par goût du grotesque. Dans la vie, j’adore déconner, j’aime le burlesque, les spectacles comiques, de Valérie Lemercier à Pierre Palmade, et cet aspect des choses a longtemps été absent de ma musique au profit des choses jolies, poétiques, mélancoliques. Maintenant, j’ai envie de tout donner, sans économie, sans conceptualiser. En un mot : Tout foutre sur la bande.
Par Christophe Conte