>Poète excentrique, voire cannibale, croisé sur le zinc d’un café parisien de la Bastille, Philippe Katerine nous offre en guise de Buzz les clés de son nouveau paradis perché au 8ème ciel.

C’est ton cinquième ou ton sixième album ?

Le précédent était un double… Enfin deux CD simples réunis… En fait, on n’a jamais trop su.

Les « Créatures » était un album « normal » de Katerine avec les Recyclers alors que son alter ego « L’homme à trois mains » était plus solo et acoustique ?

C’était un peu bizzare : les deux disques étaient séparés, puis on les a réunis pour des raisons pratiques.

Cela nous ramène en 1999, entre-temps tu as collaboré avec diverses vocalistes, généralement des femmes car je ne crois pas que tu aies beaucoup écrits pour des hommes ?

Heu si… Un peu puisque j’ai fait deux textes pour Bertrand Burgalat, mais c’est l’exception !

Oui, généralement tu écris au féminin pour Anna Karina, les sœurs Winchester, Helena… Il n’y en a pas eu d’autres ?

Si, Françoiz Breut, cette chanteuse qui travaille souvent avec Dominique A ! Elle a enregistré deux albums et j’ai composé une chanson pour elle sur son dernier.

Te paraît-il plus facile d’écrire pour les autres que pour toi-même ?

Pour moi, je ne me censure pas, je fais moins attention ; je me lâche plus que pour les autres, en fait. Et comme les autres, c’est un peu du sur mesure, j’essaie toujours de fixer ce que l’on pourrait croire être une des réalités de ces personnes-là.

Tu pars toujours de ta guitare ?

Oui, éventuellement du piano. Le cheminement est le même, mais le but est toujours un jeu de séduction de la personne qui doit chanter par la chanson qu’on lui apporte ; en un mot, il faut qu’elle saute au plafond quand je chante cette chanson. Ce n’est pas toujours le cas, bien entendu, mais c’est un peu le but. Ce n’est pas du tout pareil quand j’écris pour moi car je n’ai pas vraiment de rapport de séduction aussi net avec moi-même. Je me permets donc sans doute plus de choses.

« 8ème Ciel », qui ouvre et intitule l’album, offre d’étranges similitudes avec « Mrs Robinson » de Simon et Garfunkel. Admets que tu aimes les contrastes, entre la pop années 60 du début de ce titre et ce qui nous tombe dessus à 1’56’’, de sont deux dimensions parallèles qui se rejoignent ?

Ou très certainement toutes ces sortes de disque que j’écoute. Simon & Garfunkel non, plutôt Electric Prunes, ce genre de groupe psychédélique que j’adore. 13th Floor Elevator, The Seeds et toute cette période. Quand j’ai commencé à acheter des disques, j’avais un copain un peu plus âgé que moi qui m’a initié. Depuis, j’ai toujours baigné dans ce rock multicolore et allumé.

Mais il y a aussi cet amour de l’électronique en total paradoxe !

C’est possible, j’aime aussi cela. J’écoute plein de disques, de toutes façons, et cela ressort d’une façon complètement désordonnée dans la tête ; cela se construit selon mes idées du moment qui, évidemment, dépendent très certainement de ce que j’écoute. A la base, j’avoue cette prédilection pour les contrastes ; dans le cas contraire, je m’ennuie.

Dans « 8ème Ciel », c’est flagrant. Comme « Les grands restaurants » où l’on retrouve aussi ce côté psyché en filigrane…

Oui un petit peu, j’avoue, c’est un peu ma maison, ma base…

…Cette nostalgie des années 60 ?

Pas du tout.

Le Swingin’ London, les minijupes, Mary Quant, la libération sexuelle…non ?

Non, cela ne me fascine pas outre mesure. Je préfère l’époque actuelle à mon avis beaucoup moins contraignante ; je me sens beaucoup mieux aujourd’hui. Finalement, cela a l’air un peu coincé les années 60 !

Sans le faire « explication de texte », il y a une phrase dans « les grands restaurants » que je n’ai pas comprise : « J’ai mangé l’espagnol / qui jouait de la guitare/ tous les dimanches matin / sur le pont des Arts ». C’est l’éloge du cannibalisme ou tu parles de la langue ?

Non, c’est du cannibalisme. Ah oui ! C’est à prendre au pied de la lettre, cette envie d’avaler mon environnement ou les gens, de les manger, quoi. Il y en a qui jouent tout le temps du jambé en bas de chez moi : le meilleur hommage que je pourrais leur rendre, ce serait de les manger, car je n’en peux plus ! L’espagnol, c’est un peu cela aussi, c’est l’envie de manger.

Et musicalement, là aussi, on nage en plein psyché avant de bifurquer à 2’32’’ vers un truc plus sucré Beatles, voire carrément Mac Cartney / Wings le premier album de 71 avec « Uncle Albert » et ses harmonies angéliques.

Ah, je suis fan aussi, je ne peux le nier, alors difficile d’y échapper. Je suis tombé dedans, dans les Beatles et tout cela. J’étais plus Macca' que Lennon, même si j’ai changé d’avis depuis sur leurs périodes solos où John m’intéresse en fait plus que Paul, même si c’est un orfèvre et un incroyable faiseur. Mais entre le faiseur et l’animal, je penche de plus en plus vers l’animal.

Il y a aussi cette influence de la soul aux yeux bleus du « Style Council » de Paul Weller

Je me reconnais assez là-dedans, j’ai beaucoup écouté Style Council.

Pas besoin d’être Black pour faire des Blackeries ?

C’est fait d’une façon un peu gauche et c’est ce qui donne sa singularité au truc. C’est un peu maladroit, il y a du vrai dedans, mais tu sais, je ne me pose pas trop de questions. Ce sont des chansons qui me viennent comme ça, après je constate… « Tiens là, oui, effectivement, il y a une influence ». J’ai peut-être pensé à Al green à ce moment sur ce morceau, mais j’y pense après. Y penser avant n’aurait aucun intérêt : après, je m’amuse à retrouver des ficelles, à remonter le processus. Car tu peux toujours remonter à des disques évidemment, pas seulement à la rue ou à la maison.

« Le BBQ à L’Elysée », c’est un rêve ?

Mes chansons sont souvent issues de rêves que je fais.

Et tu rêves en couleurs ou en noir et blanc ?

C’est toujours extrêmement coloré, très saturé.

Et les personnalités citées, de Sinatra à Jean XXIII en passant par Trenet, Madonna, Woody Allen et Eminem ?

Ce sont des références du rêve, des gens croisés à cette fête imaginaire. Il y avait aussi Françoise Hardy et Lolo Ferrari qui sont très certainement des gens importants pour moi !

Donc cet album est comme un patchwork ?

Oui, comme ces couvertures qu’on fait avec différents morceaux de tissus, mais cela te donne chaud quand même ! C’est ce que je voulais.

Oui, mais une fois que tu as mis le pied dans la porte…

Tant mieux si après le chemin se poursuit. Si je vois les gens sourire ou se marrer, moi, cela me plait. Après s’ils vont plus loin, c’est encore mieux. S’il y a de l’émotion qui vient de greffer, alors j’ai réussi mon coup.

Propos recueillis par Gérard Bar-David