Dandy décalé et promeneur lunaire, Philippe Katerine explore à travers 8ème Ciel le surréalisme ludique et absurde sur fond de divagations nocturnes. Epaulé des excellents Recyclers et de nouvelles recrues (le vieux Général Fifrelin et la petite Boulette), Katerine écrit ici une page supplémentaire de la chanson française, baignée de funk et de psychédélisme. Ouvrez la fenêtre aux papillons, merci.

Est-ce que le fait d'habiter dans une petite ville en Vendée a été un vecteur de fantasmes pour toi par rapport aux groupes que tu pouvais écouter à l'époque ?

Philippe Katerine : Je fantasmais sur des disques que je ne pouvais pas écouter puisque je ne pouvais pas les acheter. Je lisais quand même la presse. Ils parlaient du Velvet. C'était l'époque où ils parlaient beaucoup des disques du Velvet. Ils redécouvraient le groupe. J'essayais de trouver les disques mais bon je ne sortais jamais de mon trou donc j'imaginais le disque dans ma tête. C'était beaucoup mieux que les disques du Velvet ! Non c'est faux en plus. Mais c'est vrai que ça a créé un peu… c'est un des groupes qui m'a donné envie puisque je n'avais pas trouvé de musiciens. Ca avait l'air facile, pas très bien joué donc tu as l'impression que c'est possible. Quand j'ai commencé je ne savais pas faire de musique mais j'en ai fait quand même. C'est en écoutant peut-être ce genre de disques que tu te dis que c'est possible.

Tu te sens attaché à la Vendée ?

Ouais j'y retourne souvent. Je me sens très vendéen.

Tu serais tenté de faire des chansons en langue vendéenne ?

Je chante des fois des chansons vendéennes. Ca serait assez éloigné musicalement de ce que je fais, il faudrait trouver un pont. Ce n'est pas exclu un jour. J'en chante des fois sur scène. Je l'ai fait une ou deux fois.

Ca te rappelle des souvenirs ?

Ouais. C'est un pays assez rude au niveau des mentalités, il faut s'y faire. Ce sont donc des souvenirs assez durs aussi mais en même temps très protégés du monde extérieur. J'ai voyagé très très tard. Je ne suis pas sorti de Vendée depuis longtemps. D'ailleurs j'ai vu la montagne, j'y pensais tout à l'heure, j'avais 23 ans. Je n'avais jamais vu de montagnes. J'avais fait un concert à Genève, j'étais tout seul et quand j'ai vu ça j'ai dit "ouah ". Je n'étais pas sorti de Vendée en fait.

Jusqu'à 23 ans ? Mais comment t'as fait ?!

Quand tu ne connais rien d'autre tu te contentes tout à fait de ce que tu as.

Plus jeune tu avais des amis qui écoutaient les mêmes choses que toi ?

Je leur faisais un peu écouter le Velvet mais bon la plupart s'en foutaient. J'avais un ou deux copains avec qui on écoutait les mêmes trucs. C'était des trucs de l'époque qu'on écoutait : My Bloody Valentine ou le label Sarah Records.

Et tu penses que ça transparaît tout ça dans tes disques ?

Oui sûrement je ne sais pas. Sûrement quelque part.

Tu portes quel jugement sur tes premiers disques ?

Je ne les écoute jamais. Je me souviens de chansons des fois. L'autre fois j'ai écouté Mariage Chinois, mon premier album, et je ne me souvenais pas du tout de ce que c'était. Pour moi ce n'était pas moi en fait et j'ai entendu ce truc-là et je me suis dit "mais c'est une musique de malade".

Il y a eu une sévère évolution depuis.

Ouais vraiment. Là je m'en apercevais en écoutant ça mais c'est radical quand même. J'étais très étonné.

Les Recyclers, j'ai l'impression qu'ils t'ont épanouit.

Ouais au niveau de arrangements. Les arrangements dépendent toujours des chansons alors déjà les chansons ont beaucoup évoluées chez moi. C'est vrai que ça a dû élargir ou enrichir vraiment les chansons de travailler avec eux c'est sûr.

C'est mieux que de travailler tout seul dans son coin…

Tout seul c'est un peu chiant et c'est un peu plus long. Tu perds du temps… alors que eux on a l'impression qu'ils savent tout jouer Tu as une idée et elle se transforme tout de suite donc c'est quand même un privilège. Le privilège du technicien.

Ils te permettent de faire plus de choses qu'avant tu ne pouvais pas matérialiser ?

Ouais, j'ai des trucs dans la tête ou une notion d'abstraction aussi que je veux et je vois pas trop comment faire... Ou alors c'est en réagissant en rapport à ce qu'ils me proposent. J'essaie de les emmener ailleurs si jamais il n'y a pas satisfaction comme ça immédiate. Et puis comme ce sont des musiciens assez instinctifs ça bouge très vite. On a un résultat qui est tout de suite assez palpable en fait sur une idée ou une autre.

C'est quoi ton processus d'écriture ? Tu pars tout seul et chacun amène ses idées ?

Je faisais la chanson tout seul chez moi avec la guitare, la grille d'accords, la structure et la mélodie et puis en studio je présentais les chansons. Chacun réagissait dans son coin. Après on mettait en commun en essayant d'autres choses. On avait en plus pas mal de temps pour ce disque pour expérimenter. Des fois on a fait des versions multiples pour une chanson ce qu'on n'avait jamais fait avant. Je joue la chanson et chacun réagit musicalement. Je fais confiance en fait en l'instinct des musiciens. Ca réagit comme ça directement et puis après c'est quand ça ne me plait pas que j'aiguille différemment.

C'est toi qui produit tes disques Tu n'as pas envie de déléguer ça à un producteur ? Pour toi c'est un bloc que tu gères du début à la fin ?

Pour l'instant je n'ai jamais pu faire autrement que de m'en occuper. Je déclare que j'en suis un . Je me qualifie comme tel parce qu'à partir du moment où on décide de s'en occuper ce n'est pas pour sonner comme quelqu'un d'autre. Je n'aime pas l'idée que l'on me dise de sonner comme ça ou tes chansons vont devenir comme ça. C'est un truc que je ne supporte pas donc je déclare "moi je vais m'en occuper je suis sûr d'avoir les réponses, les bonnes réponses". Des réponses, il y en a des multitudes en fait. Il suffit d'avoir un point de vue aussi con soit-il. Ca reste un point de vue. Est ce qu'on a envie que ce soit le point de vue d'un autre ou de soi-même ? Moi je choisis moi-même et j'assume toute les conneries, ce qui est agréable.

En studio tu es un acharné ?

Ouais j'adore ça. En studio il faut m'arracher, il faut me dire "maintenant c'est fini. On éteint". On me remet au lit et trois, quatre heures après je suis au turbin. Il faut me suivre.

Alors Boulette c'est toi qui chante.

Ah non ! C'est une petite fille et Fifrelin c'est un général de 60, 70 ans.

Ce n'est pas une histoire à la crocolion ça ?

Qu'est-ce que c'est le crocolion ?

Tu ne connais pas le crocolion ? Le crocolion c'est le plus méchant des animaux de la jungle. Il a une tête de lion et une de crocodile et comme il n'a pas de trou de cul, il ne peut pas chier donc il est super énervé.

Ah bon ? Et ben dis donc. Ouais c'est un peu une histoire comme ça le général…

Tes disques sont un peu basé sur ta vie...

Pas forcément. C'est sur des représentations de vie. Ca peut être des rêves mais bon ça tourne autour de ma vie.

Tu es obligé d'avoir une vie assez riche pour nourrir tes disques alors.

Non tu n'es pas obligé. Ce qui compte c'est ce qui se passe dans la tête et pas forcément sur le corps. Et tu n'as pas besoin d'avoir 70 ans non plus. Certains enfants ont des imaginaires très très riches alors qu'ils n'ont vécu qu'une dizaine d'années et tu te retrouves avec quelque chose d'extraordinaire.

Tu veux conserver ce coté enfant justement ?

Non je veux conserver le fait de ne pas savoir ce qu'est le rêve ou la réalité et que les deux soient remplaçables. Les états de demi sommeil sont excellents pour divaguer, pour s'abandonner à quelque chose. Ou de fatigue extrême. La fatigue il n'y a rien de mieux. Tu es disponible et il arrive toujours plein de choses quand tu es fatigué.

Pour l'écriture tu écris dans des états de demi sommeil ?

Ouais ou je parlais de fatigue… Il n'y a rien de tel que le lendemain d'une cuite pour écrire une chanson. C'est un truc extraordinaire. Tu es ultra disponible. Ce n'est pas systématique non plus. Ou quand je me promène dans une rue inconnue.

Et ça donne Barbecue De l'Elysée.

Par exemple. Enfin ça c'est différent. C'est un rêve. Ce n'est même pas une hallucination c'est un rêve. Donc je l'ai retranscris et je l'ai mis en musique le lendemain.

En retranscrivant tes rêves tu donnes vachement de toi car c'est du domaine de l'intime les rêves. Il y a un petit coté impudique dedans quand même.

Je ne suis pas là pour être pudique. Je ne fais pas des chansons pour être pudique. Ca ne m'intéresse pas en fait. J'en ai fait beaucoup comme ça mais je me suis aperçu que je m'en foutais de mes chansons. Aujourd'hui je m'en fous un peu moins et c'est beaucoup plus impudique. C'est le prix à payer d'ailleurs. Est-ce que c'est un prix je n'en sais rien. C'est peut-être tout bénéfice.

Et c'est quoi le déclic pour passer de l'un a l'autre ?

Ce n'était pas par rapport à la musique. C'était plus un état justement cotonneux à un moment donné, entre deux eaux. C'était à l'époque de L'Homme A Trois Mains, disque que j'ai fait tout seul chez moi. Et à ce moment-là j'ai eu l'impression de passer vraiment à autre chose. C'était un besoin en fait, pas du tout né d'une stratégie quelconque.

Tu te livres beaucoup, même dans le film Nom De Code : Sacha tu parles de ta vie. J'ai l'impression que tu aimes bien raconter ta vie finalement.

Ouais de plus en plus. J'aime bien quand les gens racontent la leur aussi. J'aime bien quand on s'épanche. Je trouve que ça marche, ça fait du bien.

C'est à ça que doit servir la chanson ?

Non ce n'est pas à ça. Je ne sais pas à quoi ça sert d'ailleurs. A rien sûrement ou à faire passer un bon moment.

Tu parlais d'imaginaire, ça t'a intéressé très tôt de jouer avec ça ? Quand tu étais petit tu te créais des mondes parallèles ?

Ouais j'étais tout le temps ailleurs. Mes parents me disaient "il est gentil Philippe mais il est un peu distrait quand même. Il est toujours sur la lune". J'ai réintégré cette notion que plus récemment, cette notion de monde parallèle pourquoi pas. C'était juste un besoin que j'avais de retrouver cet état-là en fait.

C'est revenu comment ?

Par un excès de réalité. J'assumais difficilement la réalité et donc les chansons quand j'en ai fait devenaient une espèce de refuge comme quand j'étais petit en fait. C'est un petit peu ça.

Et c'est toujours ton refuge tes chansons actuellement ?

Non c'est juste que ça fait du bien quand tu en fais. Quand c'est fait c'est fait, après c'est du plaisir quand tu les chantes mais ce n'est plus un refuge. C'est juste au moment où je les fais.

Tu fais des petits retours au passé. Jardin Métallique ça rappelle un peu le Jardin Botanique.

Dans le titre ouais mais ce ne sont pas des retours. Je pense que ce sont des obsessions personnelles.

Tu es obsédé par les jardins ?

Ouais je m'y promène souvent. C'est un lieu d'errance un peu. Je prends une après-midi comme ça pour regarder les gens qui passent. J'aime bien ces moments-là où tu te sens disponible en fait.

Etre disponible pour toi c'est être déconnecté de la réalité. Tu trouves que la réalité t'oppresse ?

Voilà ouais donc je préfère mettre un peu de désordre.

En même temps ta musique n'est pas bordélique.

Non mais c'est l'ordre du désordre. J'aime bien quand tu regardes les choses de façon… Tu vas dans le réalisme et après ça devient hyperréaliste et ensuite très abstrait. Un caillou quand tu le vois dans son environnement de caillou tu vois bien que c'est un caillou. Quand tu l'approches de ton œil, ce n'est plus un caillou ça devient autre chose comme une espèce de planète. C'est ça qui me plaît bien.

Tes chansons on pourrait dire que c'est du surréalisme ?

Oui. Pas réel c'est que je dirais en fait.

8ème Ciel est un disque sur le rêve ?

Oui tenter une inversion entre le fantasme de la réalité et la réalité du fantasme en fait, que tout puisse se mélanger. C'est un peu ça qui est sorti.

Tu as lu les trucs de Freud sur les rêves ?

Non je ne voudrais pas que ça rentre dans mon petit processus, que la science arrive là-dedans. Je sais bien qu'elle est partout mais...

Cela t'es facile de retranscrire tes rêves sur papier et de leur donner une dimension sonore ? Tu as la musique qui va avec des fois ?

Oui c'est assez facile. Il y a des rêves où je me vois chanter des chansons nouvelles. Alors là je me réveille et je note la chanson. Je retrouve les accords sur ma guitare. Ca, ça m'arrive de le faire et c'est très agréable.

C'est vachement obsessif comme façon de travailler. Tu n'arrêtes jamais en fait.

Non jamais.

Il y a une dualité un peu chez toi. D'un coté il y a le mec qui est dans le réel, qui paie les factures… et de l'autre celui qui veut s'échapper. Tu arrives à gérer les deux ?

Non.

C'est que l'on te gère alors.

Oui je suis plutôt géré. On me transporte à droite à gauche. On me fait signer des papiers.

Sinon plutôt brioche vendéenne ou brioche parisienne ?

Ah la brioche c'est vendéen ! Tu n'as jamais vu une brioche digne de ce nom à Paris.

Tu as joué dans le film Nom De Code : Sacha de Thierry Jousse dont tu as également signé la bande son. C'est venu comment le fait d'être acteur ? C'est un truc que tu voulais faire ?

Non pas du tout. C'est Thierry Jousse qui m'a proposé ça mais je n'ai jamais pensé être acteur. Ca n'a jamais été dans mes projets mais en même temps ce qui est dans mes projets c'est essayer de changer, essayer de faire des nouveaux trucs que je ne connais pas pour créer un peu une surprise. Tendre un piège aussi. Donc j'ai accepté tout de suite. Comme je le connaissais aussi depuis un moment j'avais une grande confiance en lui parce que ce n'est pas facile. Quand je fais des chansons je suis responsable un peu de ce qui se trouve sur le disque. Au cinéma il faut avoir une confiance, tu te laisse guider. C'est assez agréable.

Tu vas rejouer dans un film de Thierry Jousse, c'est que finalement ça te plaît bien. Tu trouves des parallèles avec la musique ?

Oui j'aime bien. J'ai vachement aimé ça. Non ce n'est pas du tout la même chose. C'est plus thérapeutique d'être comédien je trouve. Ca m'a fait beaucoup de bien, ça m'a vraiment détendu. Etre devant plein de personnes, doser un peu le ridicule. Je trouve ça très sain pour moi. Pour d'autres ça ne correspond pas à ce qu'il leur faut mais pour moi c'est très bien. J'ai bien aimé mais je n'ai pas spécialement envie d'en faire mais si on me le demande j'aimerais bien.

Et tu ne penses pas qu'être chanteur quand tu es sur scène c'est être un peu acteur aussi ?

Non parce que je ne suis pas du tout dans la distance par rapport à moi. Je réagis comme ça sans distance par rapport à moi, par rapport à ce que ça peut être de chanter devant des gens.

Dans Nom De Code : Sacha je trouve qu'il y a un coté Nouvelle Vague. Il y a Anna Karina et en fait je t'imaginais en Belmondo…

Ah bon ? Du début ? En Belmondo ? Ouais peut-être. J'assume très bien ce genre de comparaisons… mais en moins boxeur peut-être.

Et la Nouvelle Vague ça t'a marqué ?

Oui ça m 'a vachement marqué. Quand j'ai découvert ces films, c'est un peu comme le Velvet, ça m'a donné envie de faire quelque chose de part cette économie de moyens propre à la Nouvelle Vague. Quand j'ai enregistré mon premier disque, je le faisais chez moi. C'est un disque à 6000 francs C'est assez motivant quand tu vois ça.

Nom De Code : Sacha, tu considère ce disque comme un projet parallèle ?

Non pour moi ce n'est pas un projet parallèle. C'est comme si c'était un disque à moi. Je ne sens pas que je fais une chose différente quand je fais ce disque par rapport à un autre en fait. Je ne fais pas trop de différences. Ce n'était pas un travail considérable mais il n'y a pas de hiérarchie là-dessus.

Je trouve que les morceaux plus dénudés et simples, comme Gare Montparnasse, te vont mieux.

J'aime bien que ce soit différent. J'aime avoir les deux en filigrane, savoir que ça existe. Je peux me retrouver tout seul avec mes chansons et expérimenter d'autres choses avec d'autres gens. Les deux pour moi sont un peu nécessaire.

Toujours dans le format chanson ?

Pas forcément je fais aussi des espèces de collages que je ne sors pas et que je fais comme ça pour m'amuser. Ils ne sont pas du tout dans un format chansons. Ce sont plus des choses très liées hasard.

Un peu comme des cut-ups ?

Oui c'est un truc que j'aime beaucoup. Je ne trouve pas que ce soit souvent passionnant pour les gens. Moi ça me passionne mais je suis pas sûr que… Mais dans certaines chansons il y a des trucs comme ça.

Tu écoutes quoi en ce moment ?

Le dernier Cat Power j'aime bien ou alors les Moldy Peaches. Des choses dans une démarche un peu punk aussi, j'aime bien ça.

Tu as été marqué par le punk ?

Ouais considérablement. En 77 j'avais 9 ans donc à cette époque-là pas du tout mais les premiers disques que j'ai acheté c'était les Buzzcocks, les Clash…

Les Buzzocks sortent un nouvel album d'ailleurs. Tu te vois vieillir. Chanteur/crooner sur tabouret ?

Ouais très bien. Ou très gros ce ne serait pas mal aussi. Ca ne me déplairait pas. Un type énorme.

Il va falloir t'engraisser.

J'y travaille mais ce n'est pas évident.

par Olivier Gaylor