Plus de casse-têtes chinois, les demoiselles ont filé à l'anglaise et Philippe Katerine, pointilliste de la chanson française en trompe-l'oeil, revient à nos oreilles, en voix, trompettant à plaisir, de nouvelles cordes à son arc-en- ciel, multipliant les pistes flûtées, le sourire au bord des larmes et l'oeil superbe.
J'ai commencé dans des groupes locaux en Vendée, à Chantonnay, au sud de Nantes : on chantait des chansons en anglais, en français, sous influence anglo-saxonne. Mais le déclic, ça a vraiment été l'achat d'un quatre-pistes, quand j'ai commencé à travailler chez moi, dans ma chambre, que j'ai pu enregistrer mes propres chansons. L'idée m'est venue de continuer, de creuser mon sillon et cela a donné mon premier disque, Les Mariages Chinois, en novembre 91. Il y a une espèce d'innocence que je constate avec le recul, due au fait que je vivais en province, coupé des pontes de l'industrie du disque. J'avais un dégoût profond pour ce que j'entendais à l'époque, des sons très ampoulés. Comme je voulais tout faire moi-même, la meilleure solution était aussi d'avoir un son que je commençais à maîtriser sur le quatre-pistes, d'où ce côté minimal, un peu par inexpérience.
Quelle importance a pour toi Joe Dassin, dont tu as repris L'Eté indien ?
C'est quelqu'un qui fait partie du paysage de l'enfance mais auquel je ne suis pas spécialement attaché. C'était une commande pour une compilation et j'ai donc travaillé en studio : l'opportunité d'avoir une production relativement riche, de pouvoir expérimenter des sons nouveaux et rencontrer d'autres musiciens. L'éducation anglaise a découlé un peu de cette expérience.
Pourquoi es-tu resté en retrait derrière deux chanteuses sur ce disque ?
A ce moment-là, ma voix ne me plaisait pas du tout et la réécouter m'était pénible. Je pouvais en plus découvrir des choses sur moi- même dans ces interprétations ou des sens nouveaux dans des chansons qui m'étaient au départ destinées.
Quel lien y a-t-il entre tes chansons et la carte géographique à l'intérieur de l'album ?
Ce qui m'intéresse, ce sont les quadrillages un peu mathématiques sur lesquels vont se placer des courbes. Je trouve souvent des solutions pour mes chansons en les regardant. Les citations dans les chansons, par exemple, ou les bruits, sont aussi des citations d'environnement géographique, comme un espace intérieur.
Mes mauvaises fréquentations, ton troisième disque, est plus orchestré, et tu t'exposes vraiment.
J'essaye pour chaque projet de ne pas me reposer sur une formule qui existe déjà. Pour cet album, le choix de chanter s'est imposé d'entrée de jeu - les chansons me semblaient trop proches pour que je puisse les abandonner à d'autres. Et puis il y avait aussi la volonté d'enregistrer live dans un studio en bois, et pour cela constituer un orchestre. Je sens aussi qu'avec les tournées, depuis un an, des choses se sont débloquées, je peux donner l'impression d'enlever une espèce de distance avec les gens ; l'album est un peu l'histoire de cette mutation.
Comment composes-tu tes chansons ?
En général, la musique et les textes viennent en même temps, sans trop d'efforts. Ensuite, je choisis ceux qui me semblent les plus riches au niveau du sens: j'essaye de travailler dans le pluriel plutôt que dans le singulier. Il me semble que dans la vie de tous les jours j'ai des ambiguïtés, comme tout un chacun, que j'essaye de ne pas masquer mais plutôt de montrer du doigt, sans vouloir jouer avec l'auditeur ou avec moi-même de façon cynique. Je vais aussi souvent trouver dans le cinéma, plus que dans les disques, des solutions pour des problèmes de mixage. Rossellini, Eustache et Renoir sont des gens importants pour moi. En ce moment, j'ai envie d'écrire des chansons pour un album qui sera un peu conceptuel. Ce sera sûrement un disque avec une quinzaine de chansons et autant d'interprètes différents, un projet qui me tient à coeur depuis longtemps.
Propos receuillis par Pierre O.