Qui prend Philippe Katerine au pied de la lettre n'en saisit pas l'esprit. Dans son dernier album éponyme, l'auteur du cultissime Louxor J'adore, bouscule, dérange, provoque, en moins de mots qu'il n'en faut pour l'écrire : avec des ritournelles désopilantes qui s'élèvent vers une dimension philosophique et un absurde qui confine à l'existentiel.
Le succès de Louxor J'adore en 2005 a-t-il changé votre vie ? Votre façon d'appréhender la musique ?
Au quotidien, ça change tout. Tu rentres dans un magasin, et tu t'aperçois que les gens s'arrêtent de parler, tu les empêches de vivre en quelque sorte, c'est terrifiant... Dans la musique, je me suis toujours senti libre, sans responsabilité, pas plus hier que demain ; ça ne change rien.
Votre disque s'appelle sobrement Philippe Katerine. A quels titres avons-nous échappé ?
Je cherchais une étiquette choc : j'ai pensé à Fils de... ou Le père, le fils et le Saint-Esprit ou encore Parental Advisory, comme ces stickers apposés sur les disques qui disent des gros mots. Mais ça faisait malin. Je me suis dit : restons simples, n'écrivons rien.
Pouvez-vous décrire cette pochette d'album pour le moins surprenante ?
Surprenante, ah bon ? Je considère cette idée explosive, au contraire, bien que courtoise. Tu poses entre tes deux parents, c'est un peu idiot, mais je trouve ça punk, presque subversif. Je rentre tous les mois chez eux, en Vendée. Et comme ils chantent sur mon disque, je voulais immortaliser l'instant chez un photographe du coin. Il nous a disposés selon son habitude, sans forcer sa nature, avec ce fond bleu. Je trouve ça très beau, malgré vos avis divergents. C'est mon seul critère. Je suis ému par cette photo : j'ai l'air heureux d'être là, encore vivant à 40 ans, entouré de ces deux personnes grâce auxquelles j'existe.
Avec vos parents, vous chantez votre désir de faire un film avec 'une femme nue et des handicapés'. N'est-ce pas un peu osé ?
Ils m'ont directement inspiré cette chanson. J'ai eu maintes fois cette conversation avec eux, sur nos responsabilités, le regard des autres, sur ce que l'on doit faire ou pas, si l'on doit se censurer ou si l'on ne doit pas. Le sujet était un prétexte à dialoguer en trio sur un terrain philosophique.
Vous maniez aussi l'art virtuose de la répétition comme dans Philippe ?
Cette chanson s'inspire d'un fait réel. Dans un train Paris-Nantes, alors que je lisais tranquillement, un cruel enfant de 7-8 ans me demande comment je m'appelle une bonne centaine de fois. A la fin, j'étais devenu son martyr, j'étais laminé, rouge de honte, en larmes... Avec cette chanson, je prends ma revanche : je lui dis enfin 'ta gueule'.
Vous parlez aussi d'objets de la vie courante : la musique d'ouverture de Windows, le téléphone portable...
Disons que je ne vais pas écrire sur les Zeppelins, les charrettes ou les autobus à plateforme, on en voit assez peu... En revanche, je trouve une source d'émerveillement infini dans cette poésie du quotidien.
Vos chansons sont très courtes, avec une instrumentation réduite. Vous situez-vous dans une esthétique minimaliste ?
Je dépouille pour faire de la philosophie : je suscite une question, une élévation, un tremplin, mais je n'apporte pas de chute. Pour décrire une situation qui provoque réflexion, deux-trois mots suffisent. J'ai toujours tendance à trop en faire. Souvent, on remplit par narcissisme, pour combler ses lacunes. Mais j'aime cet adage : le moins, c'est le plus !
Dire le maximum avec le minimum, est-ce là votre quête ?
Tout dépend de celui qui écoute. Comme un chien, il faut s'occuper du disque qu'on achète, nettoyer sa crotte, lui donner à manger, le faire vivre, l'élever... Mais j'accepterais parfaitement qu'il soit abandonné sur l'autoroute.
Vous plaisantez tout le temps, ou avez-vous un vrai message à faire passer ?
Si je déconnais une seule seconde, ça ne m'amuserait plus du tout. J'écris des chansons pour exprimer mes sentiments les plus profonds. Mais je ne fais passer aucun message, je montre juste des trucs que j'ai vus, qui me plaisent, comme cette poche en plastique qui s'envole vers l'azur, ivre de joie, au-dessus des embouteillages : un cadeau de la vie !
Propos recueillis par Anne-Laure Lemancel