Nous avons rencontré Philippe Katerine lors de son passage au Grand Mix à Tourcoing. Nous ainsi pu ainsi constater l'excellente qualité des interprétations (le dandy était accompagné d'un groupe de jazz) des morceaux de son étonnant et détonant dernier double album Les Créatures et l'Homme à Trois Mains. Loin du personnage médiatique qu'il incarne pourtant si bien, rencontre avec un homme de trente ans avec les pieds sur terre, finalement comme tout le monde.

Est-ce que tu as sorti ce double album en réaction aux autres? Est-ce que tu crées toujours tes albums en réaction aux précédents?

Quand onfait un disque, finalement après c'est bien de l'épuiser, en chantant sur scène jusqu'à l'écourement. Au bout d'un an, un an et demi, il y a l'envie de réécrire des choses qui soient différentes donc, finalement, en réaction.

Parce que tu disais que tu étais satisfait pour la première fois avec cet album.

Oui. Mais à chaque fois que j'ai terminé un disque, j'étais satisfait, sinon je le sors pas. Mais, celui-là, peut-être plus parce que j'ai pas laissé tomber trop tôt comme d'habitude ; parce qu'avant, c'est pas que je m'en foutais mais enfin, j'étais plus désinvolte par rapport au mastering, au mix,. Des fois, un mix allait moyennement, je sentais que ça n'était pas extraordinaire, je le refaisais pas. Là je les ai refait. Pour certains morceaux, j'ai fait trois ou quatre mixs, le mastering , j'ai du recommencer trois fois alors que c'était un truc qui m'importait pas vraiment avant. Disons que je me suis senti plus concerné par ce qui se passait. C'est pour ça peut-être que j'étais plus satisfait. Parce que l'idée de départ correspond plus à l'idée d'arrivée.

Au début de ta carrière tu étais assez réticent, tu ne voulais pas donner trop d'informations sur toi, tu voulais un peu te couvrir, te protéger. Avec ce dernier album, tu as dit avoir voulu te mettre à nu. C'était pour tromper l'ennemi ou.

C'était un désir d'exhibition. Tout simplement. Un besoin plus qu'un désir. Un besoin d'être à nu dans tous les sens du terme. Parce que j'étais sûrement en recherche personnelle. Je me suis rendu compte qu'il s'agissait de ça. Un espèce de don de soi.

Ce n'était pas voulu... tu t'en es rendu compte au bout d'un certain temps?

Oui. Je me suis rendu compte au bout d'un certain temps, après avoir fait quatre ou cinq chansons que ça allait dans ce sens-là. Mais ce n'était pas prémédité.

Est-ce que c'était une réaction par rapport à l'opinion que les gens ont de toi? On dit toujours qu'on est un peu le regard des autres.

Oui, peut-être un peu. Mais très inconsciemment. Le regard que les gens ont de moi, ce n'est pas un problème particulier. Je ne me sens pas dans une caricature donc c'est pour ça que j'ai pas voulu forcément l'inverser. Puisque je n'avais pas vraiment de perception de cela.

Dans J'ai trente ans, on a carrément l'impression d'avoir droit à des confidences. Par rapport aux Sours Winchester, ou aux compositions que tu fais pour d'autres artistes, il y a vraiment une mise en avant de toi en tant qu'individu par rapport au personnage Katerine. Donc on a un peu l'impression que c'est un album, pas thérapeutique, mais un peu égoïste, dans ce sens là.

Je me suis rendu compte aussi que c'était peut-être la meilleure façon pour moi d'écrire des choses qui m'importaient, donc si ça m'importe à moi j'ai l'impression que ça importe aux gens, et donc d'écrire de façon complètement égoïste -c'est-à-dire sans penser aux autres- mais en ne pensant qu'à soi-même ; donc en s'imaginant que si on ne pense qu'à soi, on va penser à tout le monde. Alors que l'inverse ne me correspond pas du tout : l'inverse serait de fabriquer des chansons dans l'idée de parler à tout le monde, ce qui revient en fait de ne parler à personne.

Justement, un des thèmes récurrents de ton double disque, c'est la religion, comme dans Jésus-Christ mon amour. Quel est ton point de vue à l'égard de la religion? D'où t'es venu l'idée de parler de cela dans tes chansons?

Ce ne sont pas des idées, c'est juste ce qui me vient dans mes rêves. Quand j'écris, c'est souvent des images comme ça qui me viennent. Ca se passe dans les églises ou il y a des images du Christ qui reviennent souvent mais ce ne sont pas des idées, justes des obsessions, en fait. Des obsessions érotiques, en fin de compte. J'écris là-dessus mais ce n'est pas. (il cherche) quelque chose de prémédité encore une fois.

Tout-à-l'heure, on parlait de thérapie. Tu n'as pas l'impression que cet album, c'est une véritable thérapie, pour toi?

Oh, si, sûrement. Ce n'est pas cet album en particulier. c'est toujours le cas quand j'écris des chansons.

Ca fait aussi pas mal référence aux dates. C'est le cap des trente ans qui t'a aussi poussé à réfléchir sur toi?

Sur le temps qui, c'est vrai, au bout d'un moment se rétrécit, où on a la perception qu' il ne reste plus beaucoup d'années, que tout va beaucoup plus vite en fait. Les jours passent de façon très rapide donc peut-être que c'est du aux trente ans, trente-et-un ou vingt-neuf, enfin bon peu importe: à ce moment où on pense que ça va très très vite. C'est pour ça qu'il y a peut-être ce besoin de dater pour se souvenir, et de m'inscire aussi dans l'espace en citant es noms de ville, de rues.

Il y a trois-quatre ans, tu avais écrit ta biographie sur les dossiers de presse ; en fait chaque année tu mettais un événement qui avait été un échec. A l'époque tu considérais que ta vie n'avait été qu'une suite d'échecs. Est-ce toujours le cas?

Je ne me souviens pas de ça. Non, mais ce sont toujours des échecs, pas ce qu'on imagine mais. C'est un peu mon avis. Ce sont toujours des semi-échecs: parce que ne serait-ce que de tenter quelque chose c'est déjà une semi-réussite. C'est déjà pas mal.

Dans la presse, il y a une réponse assez unanime et favorable à tes disques. D'où tu penses que ça vient cet espèce de consensus "Katerine, c'est vachement bien".

Oh, j'ai lu aussi des articles récemment, très durs, criant au scandale (rires). Ca m'a fait plaisir, aussi.

Parce que quand on fait un disque aussi engagé que le dernier, on s'attend aussi à diviser les gens.

Ouais, je m'attendais à ça davantage qu'à un consensus en fait. Je pensais qu'il y aurait une " polémique ", à mon niveau, mais c'est vrai que j'étais un peu étonné. Mais pas tant que ça en même temps, puisque comme je le disais tout-à-l'heure j'ai fait un véritable don de moi, de temps. et ce sont des choses importantes pour moi. Si après ça a provoqué plus de réactions, qu'elles soient situées au niveau du rire ou de la mélancolie. ce qui est sûr, c'est que ça a déclenché plus de réactions.

Et, au niveau du public, tu ressens quoi? Parce que s'il y a un consensus au niveau de la presse, j'ai l'impression que les personnes qui appréciaient ce que tu faisais au départ sont un peu déroutées par ce que tu fais maintenant.

En concert, je vois plutôt l'inverse. Il y a déjà un peu plus de monde et puis je reçois aussi beaucoup plus de choses de la part du public, il y a plus de répondant. On fait aussi trois ou quatre rappels et avant c'était plutôt un ou deux. Ca paraît idiot mais les réactions sont beaucoup plus enthousiastes. Moi, je reçois l'inverse en fait.

Ton album est en fait constitué de deux disques, et le deuxième a été écrit avant le premier, l'Homme à Trois Mains. Puis Les Créatures où là un groupe qui t'a rejoint. Au passage sur scène, tout est avec le groupe ou tu gardes la partie seul à la guitare?

Ah non. Sur scène, c'est avec le groupe. Je ne joue plus du tout de guitare, je chante seulement et on reprend évidemment certains morceaux des Créatures mais aussi beaucoup de morceaux de L'Homme à Trois Mains, en groupe. Ce qui donne un peu l'idée de ce qu'aurait pu être L'Homme à Trois Mains enregistré avec les Recyclers.

Justement lorsque tu as enregistré Les Créatures, est-ce que tu as pas été tenté de reprendre certains morceaux de L'Homme à Trois Mains et de les jouer pour Les Créatures?

Non, parce que L'Homme à Trois Mains était déjà enregistré et je trouvais que la boucle était bouclée, donc pour moi il n'y avait pas à rajouter ni à soustraire.

L'orchestration de ta musique est assez jazzy, elle pourrait faire penser à des B.O. de films noirs des années 60. Tu es passionné de cinéma, c'est quelque chose qui t'influence beaucoup, ou pas particulièrement?

Oh, si. J'y vais toutes les semaines, à peu près. Je suis pas ce qu'on appelle un cinéphile mais ça m'intéresse, je revois beaucoup de films. Pour moi, c'est intégré dans mon parcours et certainement dans mes chansons aussi.

Essentiellement des films récents ou tu as cette nostalgie de la Nouvelle Vague ?

Non, tout. Ca va des années 10 aux années 90, sans restriction.

En parlant de la Nouvelle Vague, tu étais en projet avec Anna Karina. Tu étais passé au festival "Les Voix Si Les Voix La" notamment. Qu'est-ce que ça devient? L'album va sortir?

Je viens de finir le disque la semaine dernière et il va sortir en mai. Avec quatorze chansons. Nouvelles.

Et tu travailles toujours avec Pierre Bondu pour les arrangements?

Oui, je travaille avec Pierre Bondu. C'est un quatuor à cordes qui est venu enregistrer. C'est un disque assez acoustique avec aussi Fabrice Dumont d'Autour de Lucie avec qui j'ai travaillé pour ce disque-là. J'ai reconduit l'équipe, qui me satisfaisait.

Dans l'art en général, il y a quelque chose qui t'excite en ce moment?

Je lis plutôt actuellement. Alors je ne sais pas si c'est de l'art. Je lis pas mal de bouquins, par exemple Les Journaux Intimes de Raymond Queneau, un gros bouquin qui me passionne.

Dans Je Vous Emmerde, tu dis "je suis un poète" et c'est aussitôt décrédibilisé par "poète pouêt pouêt". Alors par rapport à tes textes qui sont très travaillés, est-ce que tu te considères un peu poète, plutôt chanteur, compositeur, un peu tout à la fois?

Je ne supporte pas cette appellation "poète" donc je ne me sens pas du tout "poète". Je me sens plus comme quelqu'un qui recycle, colle, assemble les éléments. Mais sans désir de provoquer de la poésie, aucunement.

On parlait tout-à-l'heure de cinéma et de tes références au cinéma. Je crois que c'était encore plus flagrant sur Mes Mauvaises Fréquentations où ça faisait beaucoup penser à Jacques Demy puis à Michel Legrand, tu reprenais notamment un morceau d'Agnès Varda et Michel Legrand. J'ai l'impression que sur cet album on ressent plus tes influences musicales, notamment Brigitte Fontaine. Qu'en penses-tu?

Je peux pas dire. Je ne sais pas trier : d'où ça vient, ce que j'ai sélectionné inconsciemment. Je ne sais pas dire.

Est-ce qu'un projet avec Brigitte Fontaine t'intéresserait?

Non, pas vraiment.

Parallèlement à la sortie du double album en septembre, il y avait un petit 45 tours avec un remix de Rinocérôse. Qu'en penses-tu, comment cela s'est-il fait et as-tu encore des idées de remixes pour les autres chansons de ton album?

Non, je suis passé à autre chose et je n'ai pas envie forcément d'y retourner. Là les concerts vont se terminer donc j'ai vraiment envie de tourner la page. Avec Rinocérôse ça s'est passé très simplement en fait. J'aimais leur travail et puis je me suis dit que ça fonctionnerait bien avec cette chanson-là. Je n'ai pas été déçu du résultat, je trouvais que c'était bien ce qu'ils avaient fait.

Ca fait 7 ou 8 ans maintenant que tu sors des disques, que tu enchaînes les tournées. Tu dis dans le nouvel album que tu as préféré faire de la musique plutôt que des maths ou de la moto sur le périph. Tu as des regrets aujourd'hui par rapport à ta carrière, par rapport à son évolution en général? Des choses qui ressortaient.

Des regrets, plein en fait. Des erreurs de jeunesse mais j'ai l'impression que j'en commets un petit peu moins maintenant. Enfin, je trouve. Et j' ai fait des rencontres aussi qui m'ont enrichi, m'ont remis en question pas mal. Désormais je me sens plus en accord avec ce que je fais, j'ai l'impression de construire maintenant des mélodies qui se tiennent beaucoup plus, qui sont plus riches et sur lesquelles les textes peuvent prendre sens plus facilement.

Donc tu es toujours excité par la musique.

Plus que jamais.

Je Vous Emmerde a été élu meilleur meilleur single dans les Inrockuptibles et dans Magic! Egalement, je crois. Je suppose que tu as du être très heureux de voir ça mais tu n'as pas eu peur d'être cantonné à une seule chanson et que l'album soit un peu mal perçu ?

Non, parce que ce n'est pas non plus un succès populaire. Et puis j'imagine que les gens pour ce référendum ont le disque ou ont écouté autre chose. Je n'ai pas de problème là-dessus.

Qui a réalisé le clip de Je Vous Emmerde?

C'est l'homme qui a pris la photographie de la pochette.

Tu n'as jamais été intéressé par le fait de réaliser tes propres clips?

Si, je fais le prochain sur Jésus-Christ mon Amour. Donc ça m'intéresse. J'ai envie d'ailleurs de continuer là-dedans.

Pas de projets de court-métrage?

Des collaborations et puis des projets, à long terme, de long métrage, que j'aimerais bien réaliser. C'est vague mais je pense que je le ferai un jour. J'espère.

Justement il y a un petit film qui accompagne le dernier album, 15 minutes de présentation. Comment s'est réalisé ce projet?

Ca s'est fait avec Gaëtan Châtaigner, le bassiste des Little Rabbits. Et c'est un copain de très longue date donc je trouvais marrant de lui proposer cela et puis il a fait une espèce de relecture de l'album sans que j'intervienne, tout à fait à sa façon. Ca m'a plu. Je trouvais ça bien.

Le travail avec les Recyclers, c'est venu de ce que tu avais fait à l'époque de Morceaux Choisis. C'est comme ça que tu as décidé de continuer avec le groupe? Comment tu les as connus, au fait?

Justement à cette occasion-là, en enregistrant trois morceaux pour cette compilation, et j'ai tout de suite percuté, j'ai noté ce qu'ils pouvait m'apporter. Musiciens passionnants. Donc j'avais envie de continuer cette aventure d'une façon ou d'une autre. J'ai senti chez eux une ouverture, une disponibilité à des chansons. Et voilà, ça a fonctionné.

Tu nous parlais de la tournée qui se termine, de l'album d'Anna Karina qui est terminé depuis la semaine dernière, de tes projets ciné à long terme. Une fois que tout ça sera fini, qu'est-ce que tu prévois, un autre disque ? Bosser sur le clip, refaire quelques dates ou repos total ?

Eh bien je refais une tournée avec Anna Karina justement. Et puis j'écris d'autres chansons aussi en ce moment.

Est-ce que tu as une idée de comment fonctionne ton cerveau lors du processus de création? C'est un peu mystique comme question. mais est-ce une alchimie? T'es-tu déjà interrogé à ce sujet-là?

..Euh, holà! Non, jamais. C'est une espèce de collision, comme ça. C'est dans des demi-sommeils, des rêveries en fait. C'est souvent dans ces occasions-là que j'écris. Quand on rêve, ça se télescope, il y a plein d'idées qui me viennent tout le temps, c'est souvent très riche. C'est assez étonnant, la plupart du temps. Je rêve souvent de chansons, puis je me réveille, j'allume la lumière et j'écris tout de suite ce dont j'ai rêvé. C'est souvent dans ces conditions-là.

Ce sont uniquement des images ou c'est accompagné de musique?

Parfois il y a des musiques, des chansons que je ne connais pas mais qui sont des nouvelles chansons. Ca arrive. Ou ce sont des choses que je peux décrire ou des images, quoi.

En fait, c'est un peu ce que tu retranscris dans la chanson "Mon meilleur ami est un chien". Des suites de séquences.

D'errance de pensée. Mais comme dans les rêves, on passe du coq à l'âne. Et puis une seconde après on est dans un autre truc. C'est souvent comme ça que j'écris. C'est comme ça que ça fonctionne.

Est-ce que vous parlez anglais, Monsieur Katerine?

(rires).Quelle importance?

Ce n'est pas toujours cette chanson qui te revient à l'esprit, à chaque fois que tu fais une interview?

Non (il sourit)! Je ne suis pas poursuivi par mes chansons, pas à ce point-là (il sourit de plus belle).

Propos recueillis par Stéphane & David

Tourcoing, Grand Mix, 11/03/2000